Samedi 11 Septembre 2021, nous finissons en relais – avec ma coéquipière Nathalie, la Dordogne intégrale – fatigués mais fiers, après 12h10 de navigation. Le WE suivant, à peine remise de sa fatigue, elle me demande si je suis d’accord pour faire le Marathon International des Gorges de l’Ardèche en K2 (date prévue le 13 Novembre 2021). Je réfléchis une petite semaine et, quand même un peu inquiet, je lui dis « banco ». Elle m’assure que les trains de vagues ne sont pas pires que sous le pont royal. Tu parles.
Le projet se met en place sous la coordination de notre présidente Agnès, qui, enthousiaste et efficace comme d’habitude, bat le rappel. Au final cinq équipage K2 (Nadine et Samuel, Christophe et Clara, Patrick et Eric, Vincent et Antoine, Nathalie et Eric) et un K1 (l’inusable Pascal B.) vont participer. Petit problème, il faut remettre en état des K2 dit « Loire », 3 bateaux en fait, qui sont mal accastillés et bien poussiéreux. Une équipe de réparateurs, préparateurs, décorateurs intervient, Vincent, Thierry, Nadine, Samuel, passent des heures à faire des chandelles en Styrodur, colmater des fissures sur la coque, monter des cale pieds, mettre des gonfles.
Le samedi précédent le départ, tout ce petit monde se retrouve à descendre sous le pont royal pour tester les réflexes et la coordination des équipages. Ça passe. De notre côté, avec un K2 mer, cela fait plusieurs semaines que nous y allons sous le pont, ou nous enchaînons reprises et gite dans les contres.
Vendredi 12 Novembre, Rendez vous à 8h30 au club pour charger la remorque. Tous arrivent avec un barda conséquent ; c’est qu’elle est froide l’eau de l’Ardèche en Novembre, il faut se couvrir. Chargement des bateaux sous l’œil expert de Pat, et le dynamisme de Thierry. 9h15 l’équilibre de la remorque est validé, le moteur du Traffic vrombi, nous embarquons direction l’A71 et Clermont Ferrand. Une décantation naturelle s’est faite sur les trois rangées de sièges, les plus expérimentés devant, les bleus (Samuel et moi) derrière, et Clara au milieu des 7 gars.
Premier arrêt pour déjeuner, le temps est au beau, chacun raconte ses souvenirs de telle ou telle descente. Clara fait découvrir aux « vieux » la musique de 2021. Certains disent que c’est de la « soupe ». Eric nous fait profiter de sa playlist de rebelle, et occasionnellement fait le guide touristique des villages et paysages traversés. En totale improvisation. Le puy en Velay passé, c’est la descente sur Aubenas à partir du col de la Chavade (1266 m) en suivant l’Ardèche.
Le paysage est à couper le souffle, minéral, abrupt, rugueux, mordoré, les virages de la N102 s’enchaînent, pourvu que les freins tiennent le coup. Personne n’est malade.
Arrivé vers 17 heures au premier gite à Ruoms, dépôt de la remorque, on file sur le second gite, chacun décharge ses affaires et choisi sa chambre.
La nuit est tombée, direction Vallon Pont-d’Arc pour les inscriptions, puis retour au gite. Dernier repas ensemble avant l’épreuve, des pâtes bien sûr, sauce Bolognaise, quelques bières, un petit vin rouge du cru, très bonne ambiance.
Le lendemain matin, on sent une petite tension, certains ont mal dormi, d’autres mal digérés, ça vanne moins, ça fait moins les malins. Surtout il ne faut rien oublier au niveau de l’équipement, tout à l’heure ça va secouer. 9h30, départ, pour Vallon pont d’Arc, le départ sur l’eau est à 11 heures. Après une petite escapade dans la nature, Agnès nous ballade, on se pose à Salavas. Déchargement des bateaux, chacun s’équipe, on ressemble un peu à des cosmonautes, on prend des photos pour se souvenir de cette équipée, la tension monte encore d’un cran. 10h30, on embarque en contrebas, juste après la digue. Je monte dans mon bateau, Nathalie est déjà installée, j’ai du mal à mettre ma jupe, en fait je tremble comme une feuille. Le bateau part dans le courant, trois coups de pagaie pour éviter le premier gros caillou, les réflexes reviennent, la sérénité aussi. On se cale dans un contre de la rive droite pour attendre l’heure se s’élancer, nous voyons trois autres équipages du CKCO positionnés rive gauche. Nous avons tous décidé de laisser partir devant les fous furieux de la glisse, dont Pascal en fait partie. Un speaker s’égosille pour faire respecter le départ, ça y est, on s’élance.
Quel plaisir ! Des dizaines de bateaux, des sourires, des regards, des pagaies qui s’envolent, à l’unisson pour les K2.
Quelques kilomètres assez tranquilles puis apparait le joyau de la rivière, le pont d’Arc, une voute naturelle creusée dans le calcaire au fil des millénaires. Mais c’est aussi la première difficulté, un petit rapide qui cache quelques gros écueils. Le bateau touche. On passe, c’est le début des gorges. Des trains de vagues dans les virages qui nous secouent sans ménagement, des contres aux contours fluctuants. Heureusement qu’on est allé passer du temps à giter au pont Royal, car il y a de quoi finir écraser contre la falaise, ou se retourner pour faire trempette. Nathalie en première position en prend plein la figure, et moi plein les mirettes. On prend confiance, on appuie plus sur les pagaies pour sortir des zones de turbulences, surtout ne pas laisser le courant diriger le bateau.
Un gros bloc coupe la rivière en plein milieu, à droite ? à gauche ? à droite les bateaux pris dans le contre s’empilent en travers du courant. A gauche toute. Devant nous l’autre K2 mer du club s’éloigne doucement, c’est Patrick et Eric, les vieux briscards, les gilets verts. Derrière, les trois K2 Loire, que nous avons perdu de vue. Pendant quelques kilomètres nous suivons un chien perché sur une plateforme attachée à l’arrière d’un kayak. Il n’a pas de gilet de sauvetage, et même pas peur. On ravitaille en vol, l’un s’alimente ou boit, l’autre pagaye. On ne fait pas la course, mais comme on voir toujours les deux gilets verts loin devant nous, on se dit qu’on n’est pas si mauvais. Le spectacle est grandiose, des falaises grises, blanches, ocres même sous le soleil, des crêtes et des pitons qui se découpent à l’horizon. Quand Nathalie regarde à gauche, le bateau part à gauche. Et puis au bout de 20 bornes, le bateau des gilets vert fait une pause, on arrive à leur hauteur, ils repartent, un rapide, un étranglement, ils nous abordent comme au temps de la piraterie mais tout le monde passe. Plus dangereux que rapide me dit une petite voix.
Enfin, déjà, la sortie des gorges, le plat, devant nous un kayak de descente de modèle wavehopper drivé par une petite avec une pagaie canoé, nous ne la rattraperons jamais. Elle finira 10 secondes devant nous. Bel exploit. Sur la berge de Saint Martin d’Ardèche, cela grouille de monde, de drapeaux, en plein soleil. Magnifique, retour à la civilisation. Pascal est sur le bord, arrivé depuis une bonne dizaine de minutes, il nous encourage, nous aide à sortir le bateau, nous félicite. On est heureux. Finalement, le bonheur c’est simple comme 2 heures 32 d’efforts partagé au rythme des coups de pagaies dans l’eau.
Les équipages arrivent les uns après les autres, on s’inquiète un peu du bateau manquant à l’appel, mais les grandes expéditions ne se sont jamais faites sans aucune perte. Heureusement, alors que nous nous sommes changés, ils arrivent à bon port, après bon nombre d’infortunes dû à une mauvaise étanchéité. On flâne un peu sur les quais ou trônent des vendeurs de saucissons et de châtaignes, puis rembarquement des bateaux sur la remorque, direction les gites (de très gentils chauffeurs, Agnès et Thierry) ont fait la navette). Le soir, dans le gymnase de Vallon, tirage de la tombola (grand moment d’émotion pour Thierry), remise des prix (un peu chip), paella bien revigorante, et retour au bercail pour la nuit.
Le lendemain, il pleut sur la route du retour, peu importe, nous avons vécu un drôle de bon moment, nous pensons déjà à l’année prochaine, et je suis maintenant assis au deuxième rang du camion.
Eric L.